Rue des Trois-Blanchisseuses
Vendredi 1er août 1913 vers 17 heures, un bateau-lavoir amarré au quai du Seujet coule
subitement dans le Rhône. Trois femmes sont tuées : Mme Marie Dido, vingt-huit ans, mariée
et mère de trois enfants, Mme Franceline Mermier, septante-trois ans, blanchisseuse, Mlle
Cécile Pleold, vingt et un ans, employée-blanchisseuse.
Selon le récit fait dans un long article paru dans le Journal de Genève le lendemain du drame,
le bateau-lavoir sombre rapidement au fond du Rhône à cause d’une « planche qui a cédé sur
toute la longueur », seul le toit sort encore de l’eau. Il y a à son bord cinq femmes en train de
laver du linge, qui se retrouvent prisonnières. Des ouvriers présents dans les environs tentent
de les sauver mais n’y parviennent pas. La police et les pompiers, appelés par téléphone,
ouvrent la toiture à la hache. Mmes Marie Peccorini et Henriette Grange sont réanimées par les
sauveteurs et peuvent rentrer chez elles. Les trois autres femmes meurent noyées. Une
souscription est ouverte dès le lendemain dans les bureaux du Journal de Genève en faveur
des familles des victimes. Mme Peccorini raconte : « Nous venions de goûter, un peu de pain
et de bière, lorsque le malheur est arrivé. […] Je me hâtais vers la pompe de la chaudière et
sans hésiter je suis montée dessus. C’est à quoi j’ai dû d’avoir la vie sauve. »
Dès l’article du 2 août, la question des causes de l’accident est posée. « Ce bateau aurait été
signalé il y a un mois au service d’hygiène par les gardes des eaux, comme étant en très
mauvais état. On avait constaté en particulier que le plancher était complètement vermoulu. »
Le journaliste note que le bateau appartient à un certain M. Dupont, mais est loué par M.
Mégard. Autrement dit, le propriétaire met son bateau en location à un gérant qui se charge de faire payer une entrée aux femmes qui utilisent l’embarcation (et ses aménagements) pour
laver du linge.
Une enquête est ouverte par la police, qui par ailleurs interdit l’accès aux autres bateaux lavoirs.
Trois personnes sont inculpées (et même brièvement incarcérées) mais un non-lieu est
rendu le 14 novembre 1913. M. Pagan, ingénieur-hygiéniste au bureau de salubrité publique,
est innocenté car son « inaction » face au rapport de son collègue « ne peut être considérée
comme ayant été la cause déterminante de la catastrophe ». Il en va de même pour M. Mégard
car « il a toujours accompli les obligations que lui imposait son bail » (notamment des
réparations) et ce malgré le fait qu’« il pouvait s’apercevoir tous les jours des défectuosités et
de l’état de vétusté du bateau qu’il avait loué ». M. Dupont, le propriétaire, est lui aussi disculpé
car une infirmité (il est malvoyant) l’empêchait « de se rendre un compte exact de la situation »
et ce bien que « par esprit d’économie, il semble n’avoir tenu aucun compte » des différents
avertissements. Le juge Cougnard conclut que « la catastrophe est due principalement à la
fatalité, soit à des circonstances difficiles ou impossibles à prévoir ; qu’on ne peut pas dire, en
l’espèce, qu’il y ait eu de la part des trois inculpés maladresse, imprudence, inattention,
négligence ou inobservation des règlements ».
L’affaire, proprement enterrée par la justice, ne s’arrête toutefois pas là. La création de lavoirs
municipaux ou de buanderies est demandée, notamment par une pétition socialiste en
septembre. L’affaire devient même un enjeu lors des élections. En juin 1914, le Conseil
administratif rend enfin un rapport et le Conseil municipal commence à discuter de la
construction d’un lavoir municipal pour remplacer les bateaux. Le projet qui est adopté
quelques semaines plus tard est celui d’un lavoir municipal pour les Pâquis avec un système
permettant de bouillir le linge. Il est explicitement destiné aux ménagères de la classe ouvrière.
Le tarif prévu est de vingt centimes de l’heure, sans bénéfice pour la Ville.
La rue de la Pisciculture est rebaptisée rue des Trois-Blanchisseuses
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