Chemin des Insurgées
Cette dénomination évoque la révolte des femmes de Vernier, en 1875, en pleine crise du Kulturkampf.
En 1864, un coup de tonnerre résonnait à travers l'Europe. Le pape Pie IX faisait publier le Syllabus condamnant toute forme de vie religieuse extérieure au catholicisme romain ainsi que le principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Un retour en arrière extraordinaire ravivant dans l'espace politique genevoise des tensions que d'aucun pensaient disparues. Antoine Carteret, qui avait succédé à James Fazy en 1865 et qui était élu Conseiller d'Etat en 1870, ne tarderait pas à donner à sa politique une orientation violemment anticatholique. Le nouvel homme fort de la République prit ainsi une décision historique en 1872, en sommant le curé de Genève, Monseigneur Mermillod, nommé en 1864 en qualité d'évêque auxiliaire par le pape, de se soumettre à la législation genevoise, notamment en demandant pour les églises une autorisation d'établissement et de remettre au canton les biens des congrégations dissoutes. Face à la résistance du prélât, Antoine Carteret révoqua ce dernier et suspendit son traitement.
En août 1873, le parlement cantonal adoptait encore une loi sur le culte catholique exigeant l'élection des curés et des vicaires, une prestation de fidélité des ecclésiastiques au Conseil d'Etat ainsi que le transfert de la propriété des églises etdes presbytères aux communes. Les trente-neuf prêtres du canton ne purent que refuser de pareilles dispositions, occasionnant directement la suppression de leur traitement. A leur tour, les maires et adjoints des communes catholiques écrivirent au Conseil d'Etat pour lui rappeler que les dispositions prises violaient les garanties constitutionnelles portant sur la liberté de culte, en pure perte. Le gouvernement allait dès lors remplacer les catholiques romains par des catholiques plus réceptifs à ses exigences et créer une nouvelle Eglise, l'Eglise catholique nationale chrétienne dépendante de l'Etat. L'année suivante, en 1875, le gouvernement Carteret intensifia son effort en interdisant les corporations religieuses et en confisquant leurs biens avant de se saisir des églises et des presbytères en exigeant la tenue d'un inventaire du mobilier.
Scandalisée, son curé remercié, la population catholique romaine de Vernier était alors au bord de la sédition. Les femmes plus particulièrement se montrèrent les plus véhémentes. Le 26 mars 1875, Alexandre Gavard, le député qui allait présenter cinq mois plus tard les rapports sur l'arrêté législatif portant suppression des corporations religieuses, réunissant au domaine de l'Etat les biens des corporations religieuses, se rendait ainsi à une réunion organisée au sein de l'école de Meyrin pour y présenter un abbé de l'église national comme candidat à la cure vacante. Le délégué était en l'occurrence attendu, non pas par des Meyrinois mais par les femmes de Vernier qui accueillirent le représentant de l'autorité cantonale et l'abbé papable avec une hostilité affichée. Les gendarmes venus en renfort ne purent guère ramener l'ordre au sein de ces dernières. Se moquant d'Alexandre Gavard et de l'abbé, manifestant bruyamment pour couvrir les discours, couvrant les deux hommes d'insultes, les femmes de Vernier menèrent la vie dure à ces derniers tant à l'intérieur de l'école que dans les alentours de celle-ci. Le représentant du Conseil d'Etat et le malheureux curé allaient devoir repartir sous les quolibets sans avoir pu se faire entendre.
De vexations en interdits, la persécution religieuse allait se prolonger jusqu'en 1878. En juillet de cette année-là, le ton monta encore d'un cran. Sur décision du Conseil d'Etat, l'usage des édifices dévolus au culte avait été accordé au culte catholique chrétien suisse sans exclure toutefois la tenue du culte romain. Or, en réaction à cette ordonnance plusieurs maires dont celui de Vernier, Louis Pictet, soutenu principalement par les femmes de la commune, refusèrent obstinément de remettre les clefs des églises aux autorités, entraînant immédiatement leur révocation et l'envoi de détachements de gendarmerie chargé de prendre possession des édifices religieux.
Les élections à la fin de l'année 1878 devaient permettre aux conservateurs de remettre en cause la politique anticléricale menée jusqu'alors par le Conseil d'Etat. En 1892, les fidèles catholiques romains de Vernier retrouvaient la jouissance pleine et complète de leur église au grand dam du conseil supérieur de l'Eglise catholique chrétienne suisse.
La situation étant définitivement apaisée en 1907 avec la séparation de l'Etat et des Eglises et la promulgation de la loi constitutionnelle supprimant le budget des cultes.
Essentiellement portée par les femmes de Vernier, la résistance religieuse de la fin du XIXe siècle au sein de la commune a été largement oubliée, alors même que ces années furent marquées par une répression très dure entraînant l'érection de chapelles du Martyre à travers tout le canton. Le discours apaisant, national et officiel mis en avant par les autorités genevoises avait en effet gommé cet épisode, et notamment le rôle fondamental joué par les femmes.
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